Si aucun été ne ressemble aux précédents, celui-ci aura été radicalement différent. Il y a le COVID-19, l’angoisse, la peur, les pleurs. Il y a les masques, la distanciation d’1 mètre, le gel hydro-alcoolique… Les usines qui ferment, le confinement, les couples qui se séparent, ceux qui ne se voient plus… Il y a la mort , la guérison, l’espoir, la chagrin, le chaos.
Alors un avion qui ne décolle pas, c’est sans doute bien dérisoire et je le conçois. Mais là-bas, là où l’avion ne va plus, il y a les enfants. Ces petits bouts de rien qui sont tout.
Depuis 2003, Capucine et moi partons deux fois par an, chez « nous »… respirer l’air moite, sentir les odeurs de nuoc nam, arpenter les chemins qui s’enfoncent toujours plus loin dans cette jungle jonchée de cabanes en feuilles qui s’écroulent quand le vent mauvais souffle, la nuit tombée.
Là-bas le temps est suspendu. Les journées se déroulent en fonction des pluies, du ciel, du vent. On abandonne toute référence à notre culture (anticipation, prévision, penser à demain et à plus loin encore). Demain existe sur le document signé par les autorités, mais pour nous il ne signifie rien. Dix-sept années pendant lesquelles chaque fois nous laissons un peu de nous, comme une empreinte indélébile sur les chemins boueux.
L’été, des parrains/marraines nous accompagnent à la rencontre de leurs filleuls et des habitants de Tan Thoi. Il y a des émotions indicibles, des joies, des sourires, des larmes. Une fusion, une explosion de sentiments…

C’est le temps pour les enfants de jouer et de frôler l’insouciance. Les marraines sont bien là, attentives et émues, essayant par de multiples stratégies de passer outre la barrière de la langue. Les dessins, les jeux, les balades autant de pierres qui construisent peu à peu le pont qui va relier l’enfant à cet adulte qu’il n’a jamais rencontré mais dont il a éprouvé la générosité et l’attention à travers les courriers.
Passer le plus possible de temps à TAN THOI c’est essayer de se faire accepter, puis adopter par les habitants, les enfants et aussi les autorités.
Pousse-Pousse ce n’est pas seulement cô Isa et em Capucine. Pousse-Pousse c’est une multitude d’hommes et de femmes touchés en plein cœur par la vie des enfants sur cette île. Des parrains marraines qui ont accueilli dans leur vie, des enfants qu’ils n’ont pour certains jamais rencontrés.
Pousse-Pousse fait maintenant partie de TAN THOI. L’association est connue et reconnue.
Nos séjours bi-annuels, nos échanges quotidiens, les courriers des parrains et des enfants, les réunions avec les membres du gouvernement, ont assis notre association.
Quand nous débarquons du bac qui nous emmène sur l’île, nous apportons avec nous une certitude pour ces enfants qui en ont si peu : celle que oui, il existe à 11000 kms de là des hommes et des femmes pour lesquels ils comptent, pour lesquels leur bien être est précieux. Le petit cadeau, le courrier, les fournitures scolaires, les photos, les mots doux, les bisous les plongent un moment dans ce monde feutré et rassurant de l’enfance.

Cette année, la COVID-19 aura cloué les avions au sol et volé ainsi un peu de ces moments de bonheur aux enfants de TAN THOI. Pousse-Pousse continue de travailler, de chercher des fonds et de préparer la rentrée scolaire des enfants malgré la distance.
Parfois, souvent, il y a ce manque qui fait mal. Cette année, il n y aura pas de visites en scooter dans les familles nouvelles. Cette année, il n’y aura pas de Giau, 8 ans qui dit d’une voix cassée « je t’aimeeeee », pas de Bubu 17 ans qui me raconte à l’oreille sa nouvelle amoureuse, pas de Sau qui veut absolument qu’on aille faire prendre un bain à sa poupée.
Pas de chants du coq en pleine nuit, pas de soupe le matin, pas de pluie diluvienne, pas de panne de scooter en pleine jungle, pas de larmes qui coulent à la rencontre d’une maman qui pleure son enfant parti trop tôt. On reste là, propres et bien habillés, la clim en marche, l’eau chaude de la douche, l’épaisseur du matelas, le Doliprane à portée de main si besoin. On a tout mais on a rien.

Je regarde le ciel, je scrute l’infini et j’espère malgré les oiseaux de mauvaise augure, que bientôt nous repartirons, là-bas, leur dire qu’on les aime, qu’on prendra encore et toujours soin d’eux. Leur dire que nous continuerons à nous battre pour qu’ils n’aient plus faim, plus soif. Que nous serons toujours unis afin qu’ils ne travaillent plus à 8 ans pour faire vivre leur famille. Que nous serons encore et toujours là pour les aider à vivre mieux, les aider à jouer, à apprendre, à sourire.
Parce qu’ils sont nés là-bas et que nous sommes ici, parce qu’ils sont notre avenir, nous continuerons malgré le virus et les avions immobiles à les aider, les aimer aussi.


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